LUTHERIE AMATEUR

Finalement, j'ai acheté la gratte de Mucho, il nous en avait longuement parlé dans son topic "Comment identifier cette vieille archtop avant restauration". Je ne remercierai jamais assez mucho pour l'énorme travail de recherche sur cet instrument, une guitare allemande, années 50, bas ou milieu de gamme, fabricant inconnu, copie de Höfner.

Sunburst peinture two-tone du rouge vermillion au noir, particulièrement llaid. Binding autour de la table (Pearloïd / Noir-blanc-noir). Pas de binding sur le dos. Dos et table en plaqué.


Barrettes laiton, très petites, oxydées. Les barrettes « viennent » toutes seules en passant une lame de cutter sous une extrémité. Fentes de barrettes beaucoup plus profondes que le pied des barrettes, visibles sur le côté. Beaucoup de barrettes n'atteignent pas le bord du manche.
Pas de tige de règlage apparente, donc manche très creusé: seule la frette 21 sonne sur les aigus; creux de 5mm au centre avec des 10-52 au diapason.
Touche palissandre, pas de radius, très sêche. 4 inlays en plastique pearloïd « traversant » toute la case.
Peinture écaillée et surtout sur toute la ligne de collage des plis du manche. Beaucoup d'écailles de peinture manquantes sur le talon de manche.


Son accoustique peu puissant, ferraillant, moche. Pas de sustain, une attaque dans les médiums, pas de basses ; son de table en plaqué, trop fine et pas armée (sans bracing), son entre le banjo et le couvercle de boîte de Quality Street avec des cordes dessus. Donc guitare à utiliser en son électrique. Ca tombe bien, j'ai le pickguard, le micro et les potars d'une Epiphone Emperor regent.

Mercredi 05-12 1h 10mn
40 mn Enlever la touche
10 mn Nettoyer / poncer le plan de joint sur le manche
10 mn Reboucher les trous sur la tête, poncer, finition
10 mn Retailler le support de touche, percer pour micro

Fer à repasser, couteau long et ciseau large en main, j'attaque la touche après l'avoir bien détrempée à la patemouille et chauffée : Première surprise ! Le « runout » est tel que les fibres qui partent du sillet « ressortent » sur le dessus au niveau de la 1ère barrette. On essaie de l'autre bout : ça vrille tout autant, dessus d'un côté et dessous de l'autre.
La touche est donc enlevée par morceaux de la taille d'une case, et le plan de joint est nettoyé des traces de colle et poncé.




Re-surprise ! : Il n'y a ni truss rod, ni même une simple barre de renfort. Pas étonnant que ça pliait.
Donc, il y avait une touche en palissandre indien de très mauvaise qualité, frettée en saligaud, sur un manche sans renfort. Il y a un pli central entre les deux moitiés du manche qui semble être en CP 3 plis(!) De plus, la peinture étant écaillée sur toute la longueur de ce joint, il est possible qu'il ait bougé.L'extension de manche est en chêne, très « reste de latte de parquet ».
Ca va orienter mon approche de l'instrument: on va pas aller vers la restauration respectueuse du chef d'oeuvre mais vers la réalisation d'une gratte fonctionnelle sans trop de respect pour un éventuel travail de grand maître, qui ne s'est pas exercé sur cet instrument, on dirait.
En attendant, je rebouche avec des morceaux d'érable (cure-dents) tous les trous de vis de la tête, et plus tard j'arase, et je ponce au 800.





Je retaille la plaque de support de touche pour qu'elle ait au bout les cotes du micro qu'on va utiliser (Ex Epiphone Emperor regent), et je reporte le profil du manche sur la touche neuve (25,5, East Indian Rosewood, Lmii)





Jeudi 06 – 12 1 h 10 mn
20 mn Fabrication et pose d'une cale pour truss-rod
30 mn Défonce truss rod
10 mn Canal sur la tête
10 mn Plan du manche

Je reporte le profil du truss rod sur le manche, et je prépare une cale pour la défonceuse, que je visse en 3 points sur le manche.



Je défonce la cavité en 6 passes, et j'essaie le Truss-rod.




Je reporte leprofil de l'écrou sur la tête et je fais la cavité pour l'écrou de réglage au ciseau de 6mm.




Re-re surprise ! La partie centrale des plis du manche était bien en Cp de 5 mm, 3 lames; la lame centrale, à contrefil, s'est décollée et vient en jolis petits bouts, et me laisse le manche en deux parties, qui ne tiennent ensemble que par le pearloïd de la tête; Les collages des lames latérales sur les plis de côté n'ont pas bougés : les collages du fabricants de guitare étaient bien meilleurs que ceux du fabricant de CP ! J'enlève le pearloïd de la têteau rasoir, sans problèmes.



Je pince une feuille de dessin entre les deux parties du manche Je reporte le profil du manche, dessus, dessous, et au fond du canal de truss-rod : on voit bien que le manche a gardé son creux, et il faudra en récupérer une partie au collage d'une nouvelle lame centrale.





Un peu de réflexion s'impose...Tout avis est plus que bienvenu, face au manche en langue de serpent !

un manche neuf? :?
bon courage, moi j'aurais pas osé! :?

Bigsteve, l'homme au défi fou !!!

bon courage merc ;)

Y'a pas moyen de le recoller ce manche?
Sinon c'est presque du tuto donc excellent et bravo à toi. Juste une petite remarque d'ordre pratique : si tu pouvais mettre directement les vignettes des images plutôt que les liens, c'est un peu dur à suivre comme ça

Samedi 08 - 12 02 h 00 mn
30mn Préparation du laminé érable
30 mn Pose du laminé érable20 mn Plaquages tête
40 mn Arasage manche et feuillure truss rod

Bon, la suite. pas de panique, Mescalito m'est apparu et j'ai trouvé une solution. J'ai découpé la veille 3 plis de placage érable, collés ensemble à 30° et mis sous presse . Je les colle en presse entre les deux moitiés de manche.


Au ciseau, je découpe tout ce qui dépasse d'un côté,, et je refais le fond de ma cavité de truss rod de l'autre. Puis, je passe le tout à l'abrasif, du 120 au 400.



C'est la tête de manche qui va aider les deux moitiés à tenir ensemble. Pour la renforcer, je la plaque de Pau Ferro de 3,5 mm (ce que j'ai de plus dur) recouverte d'une feuille de palissandre de 0,5 mm (le même que la touche pour le look).

Joli travail, super restauration...
Pour les vignettes, tu as encore loupé quelque chose, il n'y a pas de lien avec tes vignettes...

Ayè ! J'ai mis les images ET les liens. Trop balaize

Excellent, merci

Tu expliques très bien l'état et quelques caractéristiques de l'instrument.
On a l'impression de l'avoir devant soi!
Pourquoi tu met les minutes? On dirait un journal intime de la lutherie.
Putain si j'en fesais un, on serait pas couché avec les pauses...
Et pendant que tu bosses, tu regarde le temps que tu met pour faire une opération, systématiquement?
C'est quoi comme essence, la table? Plaquée de quoi, épicéa? Tu vas faire quoi pour la finition? elle pourrait avoir une belle gueule, sans cette teinte.

(le même que la touche pour le look).

Chacun ses goûts .

Oui, en fait un jour j'ai lu que ça pouvait être intéréssant de noter le temps qu'on met pour faire chaque job, des fois on a des surprises. Mais c'est pas une obsession non plus. L'idée globale, c'est de voir combien de temps je vais passer sur cet instrument, c'est un des regards possibles.
Et puis, tu sais, il y a en ce moment 27 instruments à la maison, et il en rentre et il en part sans arrêt; Je les vends tous au fur et à mesure que je les refais, j'essaie pas de me faire de la thune dessus, mais je veux pas en perdre non plus. Alors je note le prix , des achats d'instruments, des pièces (ebay, en general), et le temps que j'y ai passé. En général, je double le prix de ce que ça m'a coûté, et je rachète illico avec des thunes un ou plusieurs instruments. Le temps, c'est important : si c'est nouveau, si c'est intéressant, gratifiant,si c'est difficile, s'il faut chercher comment faire, si je m'éclate (comme là, face à des nouvelles difficultés), c'est du temps d'apprentissage, c'est que du bonheur, et c'est pour moi.
Par contre, si je dois passer trois heures à passer une basse coréenne au Décapex comme récemment, j'ai pas vocation ni intérêt à être le nez dans le Décapex, et là, les heures, c'est pas gratos.
Autrement, cette gratte, c'est que du placage genre peuplier, enfin un bois blanc que j'ai pas encore reconnu, un peu comme les Egmond, si ça te parle. Le seul avantage, c'est qu'elle a un vernis facile à gérer au racloir.
A terme, elle va avoir un bon look, ça va faire une bonne arch-top "de boulot" pour quelqu'un qui joue du jazz, ce qui était le créneau d'origine de la ES 175.

BIGSTEVE a écrit :Samedi 08 - 12 02 h 00 mn

Bon, la suite. pas de panique, Mescalito m'est apparu et j'ai trouvé une solution.

Cool, un disciple de Gilbert Shelton...

Ca se comprends mieux alors
Ca un fait un bon petit tas ça d'instruments
ca veut dire que tu vas lui laisser une teinte naturelle?
Pour le vernis, je devais en enlever un au boulot, ce n'était qu'un simple vernis à l'eau pourtant, une couche de bouche-pore et deux couches pour vernir, et bah j'ai galeré...
Un plan de travail c'est plus grand qu'une gratte, mais j'espere que ce sera pas la meme galère pour toi, t'as l'impression de t'être pris une tempête de neige dans l'atelier quand t'as fini
Sinon, tu fais quoi le plus habituellement, de la finition apparement?
Met des photos hein si tu fais des trucs tchoukars en restauration
Bonne continuation, joli projet

Je vais voir si elle a une jolie teinte... des fois, le peuplier, y'a des traces gris-verdâtre... Si c'est un placage de sycomore, et qu'il est beau, je la teinte un peu (un jus, genre chicorée), et je la vernis telle quelle
Sinon, je vais faire un truc que j'adore! Je vais préparer mes ptits tampons, mes ptites soucoupes d'encre Colorex, je vais prendre une grande respiration, et je m'en vais lui faire un sunburst à l'ancienne, direct sur le bois humide, en essayant de me prendre pour Lloyd Loar!
Pour enlever le vernis, la ponceuse, c'est l'enfer, les produits, c'est pire. Je n'ai confiance que dans le racloir, et ça tombe bien, j'en ai un (Stanley) que j'ai acheté mercredi, et un racloir neuf, c'est un des outils les plus jouissifs du monde. Et ça laisse les petits éclats sagement sur l'établi, sans faire trop de bruit.
Donc, on bosse propre, et en musique.

Super ton topic.
C’est une mine d’infos !



Quand tu dis genre chicorée, tu te referes a la couleur de la teinte ou bien est-ce vraiment un extrait de chicoré ?

Vivement la suite, j'ai hate de voir comment tu procedes pour ton sunburst a l'ancienne.

Super boulot Steve... et ton intention de renseigner le temps passé est trés bonne, c'est trop rare mine de rien comme info dans les projets...

Je crois qu'on peut teindre avec de la vraie chicorée, mais je fais tout à la Colorex, parce que j'en ai plein. Je trouve que c'est un bon produit, mais, bon, c'est à l'eau, donc ça lève le grain.
N'importe qui peut faire le sunburst à l'ancienne, si comme moi, il a eu l'occasion de s'entrainer sur une soixantaine de planches en CP en montant des intercalaires de classeur d'archives dans son bureau; franchement, les vingt premiers étaient à chier, et puis, ça vient, après tout, il s'agit juste de dégrader une teinte dans une autre. Chaque fois, c'est super-chaud, parce que on peut jamais être sûr qu'on va pas faire une bouse! Le pire étant la coulure de brun foncé sur l'érable blanc qu'on n'a pas encore teinté ! Arrggh.
Le plus dur est de trouver deux teintes différentes qui vont homogénéiser, par exemple les couleurs d'un manche sipo et d'une caisse noyer....Ca a l'air de rien, mais c'est vraiment hyper-difficile.

moi je dis chapeau et bon courage! (j'l'aurai eclaté depuis longtemps!)

tu peux en effet teinter à la chicorée, à l'huile d'olive, ou a ce que tu veux...
J'avais essayé de teinté de l'érable avec du café (très très gras le café), en laissant deux jours les pièces à tremper dedans, puis petit séchage, léger réajustage et c'est pas vilain, ya même moyen de gérer la dose de café pour jouer sur la teinte, c'est du brun quoi!
Qule épaisseur ton racloir? J'ai un jeu de Crown, je crois que c'est du 0.8, c'est trop épais et ils sont pas top!
Ce serait dommage de luir refaire une teinte, faut qu'elle reste naturelle

Moi j'ai fait des essais au café c'est pas tip top, ça teint pas des masses je trouve, mais mon padré a retrouvé du brou de noix home made, ça c'est impec, un peu rouge, mais impec.

Dimanche 09 – 12 2 h 10 mn
10 mn Détourage tête
20 mn Finitions tête
10 mn Découpe cavité de truss rod
10 mn Alignement touche et tête, sciages
30 mn Fabrication sillet ivoire
10 mn Encastrements, ajustages
40 mn Ponçage vernis manche

J'arase à la défonceuse avec la fraise à suivre les nouvelles plaques à la forme de la tête, et je finis au racloir. Je refais au ciseau et à la lime la découpe d'accès à l'écrou de truss-rod. Je scie la touche à l'équerre à7mm de la future frette zéro, et je scie la plaque de tête alignée à l'équerre. Je découpe un sillet à la dozuki dans une chute d'ivoire, je dresse les côtés, et je taille une tranchée pour l'encastrer dans la plaque de tête, sans aller au fond.
Je me fais tout le manche au racloir et au 240: c'est un bois à grosses veines, que je ne connais pas, et qui ressemble à de l'if mais n'en a pas du tout l'odeur (dommage !). Je ferai des photos en lumière du jour.
Je fais une photo avec l'accastillage en place pour voir un peu la future gueule de la bête....pas mal.